Une ex prostituée. Celle qui a vu la face cachée de notre société. Celle qui a côtoyé le vice et la solitude des hommes mauriciens. Elle a vu ce que nous ne voyons pas. Rubina (nom fictif), a travaillé pendant quelques mois dans un ‘salon de massage’. « Il y a quelques-unes qui le font par plaisir, mais la plupart de femmes le font parce qu’elles sont dans le besoin, parce qu’elles sont désespérées.
Moi aussi, je me suis retrouvée dans une situation sans issue » Lorsqu’elle n’a que 22 ans, elle se retrouve seule et sans argent. Son mari l’abandonne, emmenant avec lui leur enfant en bas âge. La solitude et le manque d’argent pèsent sur elle. « Je me suis tout à coup sentie seule au monde. Mon mari était parti, ma mère ne me soutenait pas, je ne savais pas comment subvenir à mes besoins et je devais réunir une grosse somme d’argent en peu de temps. C’est à ce moment-là qu’une amie m’a parlé des salons de massages. »
Lorsqu’on est faible et désespéré, on ne réfléchit pas. On se laisse influencer, on s’agrippe, avidement, à la première solution qui s’offre à nous. A cette époque, Rubina se dit qu’elle n’a rien à perdre, que tout est déjà perdu. Poussée par le désespoir, motivée par l’attrait de l’argent, elle décide ‘d’essayer’. Rubina fait son incursion dans le commerce de la chair. Tous les jours, la jeune femme se lève et se prépare à aller travailler le cœur battant. Elle ne sait pas à quoi s’attendre. A quel client aura-t-elle affaire ? Et s’il lui fait mal ? D’une part, il y a les clients, d’autre part, il y a la police. Parce qu’elle travaille dans l’illégalité et le danger.
« N’importe quand la police pouvait débarquer au salon et nous surprendre avec un client. Rien qu’en y pensant, je commençais à trembler. » Mais elle prend son courage à deux mains. Elle s’habille, elle se maquille. Avec le métier qu’elle fait, elle a l’obligation d’être belle. Etre toujours belle, toujours séduisante même si on est meurtrie à l’intérieur. Sa mère est là, elle regarde sa fille, elle sait que Rubina se prostitue dans un salon de massage. Elle ne dit rien. « Ma mère ? Elle ne m’a jamais soutenue. Si j’avais eu son soutien, je ne serais pas tombée dans la prostitution. Au contraire, elle me disait que maintenant je ne pourrais plus m’en sortir, que je serais toujours une prostituée. »
Encore une fois, Rubina se dit qu’elle n’a rien à perdre. Elle franchit le seuil de son lieu de travail. Ses collègues et elle travaillent de 10 à 17 heures. Elles se préparent, elles attendent. Dès qu’un client entre, le cœur bat de nouveau la chamade. Certains hommes ont l’air abordable, d’autres semblent menaçants. Mais elles n’ont pas leur mot à dire, c’est le client qui choisit. Elles se tiennent debout, elles posent devant lui. C’est comme un concours de beauté mais elles ne se sentent pas toujours belles. Surtout lorsque l’homme promène perversement les yeux sur leur corps ; observant, évaluant. C’est un peu comme une vente aux enchères ou une vente aux esclaves .
« Il y a des hommes qui ont l’air vraiment louches. Rien qu’en vous regardant, ils vous font peur. Il m'est arrivé de me cacher ou de me sauver et parfois même de refuser." C’est une situation atypique ; Rubina sait que si elle n’a pas de client, elle n’a pas d’argent. Mais il y a des fois où elle prie pour qu’un client ne la choisisse pas. Pourtant ce métier, elle l’a choisi. Et elle le fait. Lorsqu’elle est ‘sélectionnée’, elle suit son client dans une salle. Voilà qu’elle se retrouve enfermée avec un inconnu. Il lui parle, il lui demande comment elle s'appelle pose des questions sur son âge, ses passe-temps. Elle ment. Elle lui fait son massage.
Ensuite viennent les demandes ‘additionnelles’, les ‘plus’, les happy ending. Cela va d’une simple caresse aux rapports sexuels. Encore une fois, faire semblant. Parce que quand on le fait par obligation, ce n’est plus une partie de plaisir. Faire semblant de jouir ; si on affiche ouvertement notre indifférence ou frustration, le client peut s’offenser. La différence entre une femme libre et une prostituée, c'est qu'une femme libre choisit ses partenaires, une prostituée non. Certains clients sont corrects, d'autres sont vicieux ou tout simplement seuls. Au salon de massage, Rubina côtoie plusieurs hommes.
« Il y a des pervers. Qui ne viennent que pour le sexe. Ils sont exigeants, pressés et parfois brutaux. Il y a ceux qui vous insultent. Ils disent des choses grossières. Eux, ils trouvent cela excitant, mais moi non. Il m’est arrivé de m’en aller. Je dis au client que je ne veux pas de son argent. Que je suis désespérée, mais pas à ce point. » Mais il y aussi ceux qui se sentent délaissés par leurs femmes ou qui sont simplement stressés au travail. Parfois, ils ont juste besoin de parler à quelqu’un. Certains hommes seuls et anxieux vont voir un thérapeute, d’autres préfèrent se confier à une prostituée. « C’est mon type de client préféré ! (rires) Il vient, il vous paie déjà, puis il s’assoit, il ne vous touche même pas et il vous raconte ses problèmes. C’est vrai que tous les hommes ne sont pas des pervers. Puis il y a aussi ceux qui viennent mais qui ont peur. Surtout si c’est leur première fois… »
Parce qu’il y a de tout. Parce que la prostituée voit tout ; elle voit tomber le rideau des apparences. Ainsi, l’alcoolique débraillé peut s’avérer être gentil mais troublé tandis que le businessman costumé et cravaté peut cacher un pervers aux fantasmes bizarres. Rubina voit défiler devant elle des hommes de toutes communautés et classes sociales. Au salon, les masques tombent. Mais une fois la braguette refermée, une fois que l’homme quitte le lieu, il remet son masque. Il arrive à Rubina de croiser un client dans la rue : « C’est ce que je crains le plus. Et c’est déjà arrivé. J’ai croisé un client, il était peut-être accompagné de sa famille. Il m’a reconnu mais ne m’a pas parlé. Tant mieux pour moi. Et puis pourquoi m'aurait -il parlé, il aurait trop honte. »
Parce qu’évidemment un homme qui marche dans la rue avec sa femme et ses enfants ne parlera pas à la femme avec qui il a couché le jour précédent. Il a peur du regard et des critiques des autres. Pourtant, nous le savons très bien : les gens pointent du doigt la prostituée et non les clients. C’est souvent elle qui est mal perçue. On la voit comme une tentatrice, comme celle qui entraine les hommes vers le vice. On oublie (oubli volontaire ?) que le client y va de son propre gré. Cela devient un cercle vicieux. Parce qu’on lui a déjà collé une étiquette de prostituée et de femme souillée, la femme se dit qu’elle n’a aucune chance de s’en sortir.
Heureusement, Rubina est parvenue à changer de vie avant qu’il ne soit trop tard : « Au bout quatre mois je n’en pouvais plus. Je me suis demandée ce que je faisais de ma vie. Certaines personnes ont commencé à parler. Quelques proches sont venus me voir. Contrairement à ma mère, ils m’ont encouragé d’arrêter. J’ai prié. J’ai demandé au Bon Dieu le courage de m’en sortir. » Elle a commencé à se prostituer en se disant qu’elle n’avait rien à perdre. Finalement elle se rend compte qu’elle a beaucoup à perdre ; sa dignité, l’autonomie sur son corps, sa paix d’esprit.
« C’est un métier comme les autres. Et il y a des femmes qui le font sans culpabilité. D’ailleurs, j’envie leur courage. Mais j’ai réalisé que ce métier n’était pas pour moi, que ma vie et mon corps m’appartenaient. Et je voulais prouver à ma mère que je pouvais arrêter. ». Elle arrête. On vient la voir, on lui demande de revenir et elle refuse. Ce métier semble avoir laissé des traces invisibles sur son corps et esprit ; elle essaie de les effacer. Elle recommence à zéro. Heureusement, elle arrive à trouver un emploi.
Son mari revient. L’univers de la prostitution est derrière elle. « C’est comme si j’ai pu m’échapper d'une prison! (rires) Maintenant, je ne veux même pas passer devant ce salon de massage. Mon mari et mon fils sont revenus. J’ai aussi arrêté pour mon fils. Il a quatre ans. Je ne veux pas qu’il ait honte de sa maman un jour. Je veux lui donner une vie décente et heureuse ». En lisant cet article, il y a ceux qui vont juger, critiquer. D’ailleurs, ils peuvent très bien le faire, c’est leur droit. Toutefois, lorsqu’ils critiquent, ils réalisent aussi que les femmes comme Rubina existent parce que de tels salons opèrent. Des prostituées existent parce qu’il y a des hommes qui vont vers elles.
La vie est faite de dualités ; la société aussi. A Maurice, comme dans le monde, il y a le bon et le moins bon. Port-Louis abrite le Jardin de La Compagnie aussi bien que l’Eglise Immaculée. Et pour construire une société saine, il faut commencer par voir les choses telles qu’elles sont.
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